Génèse #1

Ce matin ça m’a repris… J’ai tenté d’écouter pour la 4235ième fois le « Dark Side of the Moon » des Pink Floyd.

Je sais ça peut sembler sans importance voir ridicule mais quand-même….

A force de me parler d’un monument de la musique pop je me devais à un nouvel essai, pour me convaincre ou tout simplement comprendre pourquoi !

Mais rien n’y fait… Insipide, étranger, ennuyeux pour ne pas dire pénible je reste insensible au chef d’œuvre ! D’ailleurs les Pink Floyd m’ont toujours profondément ennuyé avec leur musique guimauve et leurs allures de hippies sur le retour… Je ne sais pas pourquoi j’insiste avec un tel acharnement pour un éternel et même résultat.

Je précise que peu importe la période que ce soit Barrett ou Gilmour à la guitare je reste loin de l’émotion qui habituellement m’emmène ailleurs.

 

Quitte à ne rien entendre je préfère encore le silence à une expérience en ondes troubles et sans saveurs.

La musique est un absolu que rien ne peut ni ne doit altérer… un peu bateau peut-être mais là aussi quand-même…. Il y a de l’authentique, du vécu à ma mesure !

En y réfléchissant il s’agit assurément de la seule expérience qui ne m’ai jamais déçu et qui m’accompagne avec acharnement depuis que ma mère m’a initié à la chose un peu comme un tatouage pour l’éternité !

Un fil tendu que rien ne peut ni ne doit perturber.

 

Je me rappelle encore aujourd’hui l’émotion d’une découverte sonore et sonique à venir lorsque chaque jeudi matin ma mère me ramenait les nouveautés de la médiathèque ou elle écumait pour moi les bacs en plastique jaunis…. Intense, fragile, jubilatoire.

Ça fait partie du truc, le bac, ou l’on cherche le vinyle nouveau sans vraiment savoir ce que l’on va trouver… une addiction, un truc de junkie quoi !

 

Seuls les passionnés de ce type de pratique en solitaire peuvent comprendre l’acharnement quasi sans limites à fouiner de la sorte. Pratique pathologique comme d’autres s’extasient devant une équipe de foot, une collection de Playmobil, de canards en plastique ou de distributeurs de Pez ! On a les turpitudes qu’on peut….

 

Et puis il y a les rencontres… et elles furent nombreuses.

Rencontres voulues, rencontres fortuites, rencontres parfois regrettables ou inoubliables. Elles s’accumulent et s’additionnent tels un empilage nécessaire à la construction de soi ou de l’image que l’on veut donner. Rencontres d’un soir ou amitiés éternelles qui vous emmènent là aussi au bout d’un truc que l’on ne soupçonne même pas ! Il y a celui qui vous veux du bien et celui qui s’en fout. Celui qui donne et celui qui prends… A chaque rencontre sa couleur, sa réalité, sa vérité ou sa laideur…. Comme un chemin de croix mais en moins misérable, en moins pénible. La vie quoi… rien de très original.

Au final il reste ce qui doit rester. Le nombre importe peu on ne calcule pas ou rarement.

 

Il n’y eu jamais (enfin il me semble) de rapport sans radicalité sinon la chose est plate, sordide et sans intérêts. J’entends par radicalité le don total à une cause commune en l’occurrence le partage de cette même addiction.

C’est cette passion qui vous construit et vous rend différent. Là encore le commun est sans intérêt.

La première de ces rencontres fut pour moi une révélation, comme une évidence, le genre de truc dont ne se remet jamais vraiment et dont le souvenir reste intacte un peu comme une première femme le truc ultime qui vous détermine, gravé pour l’avenir !

 

C.C était tout de même un personnage à part. Son père, militaire comme le mien, était du genre particulièrement sympa, drôle, fier qu’il était de sa collection de pucelle accrochée au mur de son séjour… la classe qui fait juste mal !

J’arrête tout de suite les esprits tordus et je sais qu’ils sont nombreux qui verraient dans la pucelle une jeune fille pas encore pervertie à la jouissance sans entraves mais bien plutôt l’insigne militaire que le bidasse porte fièrement en bombant le torse le regard tourné vers l’horizon qui les fait rêver !

Personnage en perpétuel mouvement il avait fait le choix de la provocation permanente ayant parfaitement intégré les fondamentaux de la pensée punk ! Nous étions nombreux à l’admirer par sa facilité d’être et sa nonchalance assumée comme un atout ravageur et ultime.

Notre rencontre releva de l’évidence. J’étais ami avec son frère du même âge que le mien et à l’occasion d’une invitation à diner avec mes parents, le processus de conversion se mit en place. Ce diner reste dans ma mémoire comme si c’était hier, suspendu dans un passé présent !

Amusant de constater comment, à l’échelle d’une vie, certains moments demeurent figés et immuables comme des instants précieux que l’on aime à se rappeler souvent !

Je fus surpris que mon père accepta ce diner, lui qui ne sortait que très rarement et, a fortiori, pour diner chez un sous-officier.

Le respect de certaines règles et autres conventions étaient pour lui non négociables. A l’issue du repas nous passâmes aux choses sérieuses laissant les adultes, nouveaux amis d’un soir, à leurs discussions sans grands intérêts.

La chambre à l’étage m’impressionna par son dépouillement assumé et son originalité décorative. Sur un des murs trônait un immense poster du groupe allemand Kraftwerk.

C.C était probablement ce qu’il convient d’appeler un fan de base du combo teuton et me posa la question déterminante ayant pour objet de juger mon niveau de compétence sur le sujet et de fait ma validité à pénétrer dans son refuge sonore… “Tu connais l’album Man Machine ?”… C’était en définitive le ticket d’entrée pour ne pas passer pour un tocard !

 

Je pris conscience ce soir-là de la distance qui pouvait me séparer d’un individu comme lui, étrange, séducteur, et structuré de telle manière qu’un complexe d’infériorité, un peu comme dans un rapport de maître à élève, ne pouvait être que la règle obligatoire d’une relation privilégiée.

Je découvris du même coup qu’un vide abyssal était en cours de modification, comme si le besoin de se construire en s’identifiant à un autre était incontournable.

Les découvertes musicales qui s’en suivirent demeurent encore aujourd’hui comme des points d’ancrages jamais remis en question et fondamentalement indépassables…. Wire et l’album Pink Flag probablement celui qui résume le mieux cette passion, indémodable et toujours d’actualité, le groupe rennais Marquis de Sade et son esthétique novatrice entre post modernisme et ambiance berlinoise à la Conrad Veidt ! Le premier album “Dantzig Twist” est un modèle du genre et fut une découverte esthétique à la fois musicale et poétique mêlant textes sublimes en anglais et en français et créant pour moi un lien novateur entre l’écoute, les visions, les couleurs et les émotions particulières que peut apporter la musique… Ce fut assurément la révélation d’un rapport à la chose qui ne m’a jamais quitté.

 

Ce fut donc l’année de toutes les révélations. Changement d’établissement, passage du collège au lycée, de la périphérie d’une ville aux allures de village au centre urbain de cette même ville vécu comme une promotion qui ne se refuse pas. Rien de très original somme toute mais essentiel quand la vie se résume à une quête de plus loin et d’ailleurs… chaque pas compte qui vous éloigne de cette pesanteur du quotidien familial, le dégout de l’ennui qui vous ronge, une médiocrité d’existence rampante et malaisante !

Les repas en silence, la crainte de la remarque qui blesse, la peur qui vous fait trembler en parlant, la détestation des dimanches après-midi et du scrabble qui va avec !

Le truc se vit comme ça et pas autrement…

 

Le lycée fut donc la consécration d’une “rebellitude” déjà en gestation et le début de la fin de mon intérêt pour les études…. Le rock’n roll comme une vision du monde, un absolu à vivre, une identité à conquérir et à assumer.

La ville et la masse gluante aide à se noyer au milieu des autres mais offre paradoxalement, dans cet anonymat, l’accès à la différence, un moyen idéal pour s’affranchir du commun. La dégaine ostensible du gars comme une revendication !

A nouvelle vie, nouveaux amis…. et je ne fus pas en reste cette année-là !

Là ou d’autres réfléchissaient à leurs futures orientations scolaires ou projets de carrières, véritables bobos en devenir, moi je ne rêvais que de concerts, d’albums à découvrir, de sons nouveaux à conquérir…. J’avais l’esprit en Angleterre, la terre promise des despérados, le paradis des rebelles en noir aux cheveux dressés sur la tête… là encore on a les turpitudes que l’on peut, les ambitions proportionnées au rejet d’une existence morne et programmée…. surtout dans une ville ou l’horizon se conjugue en briques rouges et en barraques à frites ou le soleil fait défaut par habitude comme par nécessité.

 

L’amitié donc, nouvelle et proportionnée à ma personne, me permit donc de partager avec assurance ma condition de néo-glandeur romantico-destroy avec mes futurs alter-ego.

Je parle d’assurance mais sans vouloir me faire plus grand que je n’étais il est utile de préciser que le retour à la maison se faisait avec prudence et rasage de murs.
En effet il était préférable d’enlever les pins et autres badges pseudo révolutionnaires, de se recoiffer avec convenance et de planquer le sac US bariolé à la mode pour éviter la colère paternelle incapable de comprendre les enjeux essentiels me concernant…

Ce triste retour à la réalité du quotidien faisait clairement de moi un rebelle en carton bien loin de l’image du rockeur sans peur et sans reproche que je souhaitais offrir au bahut. J’avoue humblement que cette turpitude-là fut assurément la plus difficile à assumer et reste encore aujourd’hui l’objet d’une souffrance toujours plus ou moins présente !

 

La ville c’est aussi la découverte des cafés. Le truc qui permet de se retrouver entre potes et permet une vision claire (ou presque) de la tribu à laquelle tu appartiens selon l’endroit où tu bois ta bière.

Ça peut sembler insignifiant mais c’est essentiel dans la répartition des rôles que chacun peut être amener à remplir. Les métalleux, pour la plupart les graisseux qui étaient avec moi au collège et dont j’avais eu le malheur à l’époque de m’affranchir, avaient leurs lieux de compétences au Pré d’Espagne, bistrot lugubre et sans relief aux effluves de fritures qui vous collent au blouson et vous plaquent les cheveux bien gras mais qui convenait assez bien à une tribu éprise de saveurs alternatives et nauséeuses….  une nécessité quand on écoute Ozzy Osbourne et Ted Nugent.

Le Cluny sur la grande place était réservé à la bourgeoisie locale qui comme une évidence se délectaient de cocktails onéreux et se retrouvaient pour évoquer leurs vacances aux skis ou la prochaine soirée à danser sur de la bonne vieille soupe commerciale en paraphrasant le groupe Imagination et le cultissime “Just an Illusion”, titre qui convenait parfaitement à la médiocrité revendiquée de leurs existences lisses et gominées.

Nous, qui étions évidemment les héros détenant la vérité ultime, le Chantilly fut notre camp de base, l’endroit non négociable de nos discussions interminables !

 

VH fut de ces nouveaux amis celui qui reste et restera le plus authentique, le plus déterminé et le plus impliqué dans la démarche qui était la mienne et désormais la sienne !

Garçon brillant à l’intelligence vive il devint le complice idéal de notre duo rapidement inséparable !

Premier de classe sans efforts apparent il venait de la périphérie relative et populaire de la ville dernier d’une fratrie de 11 enfants plus ou moins livré à lui-même depuis le décès de sa mère l’année précédente.

Nos curiosités respectives devinrent à l’évidence le moteur d’une complicité en constante évolution allant à grands coups de pédales vélocipédiques de chez lui à chez moi et inversement.

Ce fut probablement ma première relation amicale basée sur la réciprocité et un équilibre qui lui aussi ne s’est jamais vraiment démenti avec le temps.

De la découverte d’auteurs comme Antonin Artaud et sa folie communicative, Lautréamont et ses “Chants de Maldoror” à l’expressionnisme allemand des années 30 de Fritz Lang à Murnau ou la découverte de l’architecture du Bauhaus, notre amitié devint un échange permanent d’une quête culturelle et intellectuelle passionnée, simple et revigorante offrant un cadre structurant à nos humanités en devenir !

 

Le désespoir nous était interdit….

 

À suivre…

pérégrination

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